"Elle ne se plaignait pas cette femme-là !
Sa bosse, c’est sa vie avec son trésor de jours amassés et son pécule emmagasinés, personne ne peut le lui prendre ! ni les gens, ni quiconque, ni
la mort. C’est pareil pour la mémoire. Personne ni rien ne peut vous en défaire.
C’est en vous et le reste. A tout jamais.
C’est ainsi que les constantinoises - Constantine capitale culturelle du bon goût comme chacun sait - avaient une bonne réputation de femmes
d’intérieur, habiles et douées en couture, cuisine et éducation, un exemple à suivre de la rive orientale du pays, réputées pour être économes voire pingres tout de même, avec les sétifiennes il
faut s‘effacer devant leur arrogance et leur culot, on allait jusqu’à dire « miyat jiniyates kheir min staïfiya » - « Mieux vaut 100 diablesses qu’une seule de Sétif! »- les oranaises sont
décontractées et joyeuses, les algéroises de vraies prétentieuses - elles disent toutes qu’elles sont d’Alger avec une intonation traînante de loukoum pâteuse, plein la bouche !
À croire qu‘il n‘y a personne qui vit dans ce pays hors de la capitale !!- les jijeliennes à la peau si blanche maîtrisaient l’art délicat de la
broderie et de la couture, les tlemceniennes savantes et raffinées (ce qui est curieux c‘est que souvent il y a confusion entre la réputation légendaire d‘une ville et ses habitantes), les
bônoises sont agréables mais d’un goût difficile, capricieuses en fait, les kabyles ont du nif, les chaouiyas fières telles les monts Aurès qui vous contemplent ! et ainsi de suite... Les jours
de grosses disputes car il y en avait bien sûr, chaque femme sortait son propre répertoire de gros mots et gestes qui vont avec, local et commun, fleuri, trivial, grossier, vulgaire, accompagné
de tous les secrets accumulés en confidences ou lors de causeries amicales . Après cela, le lendemain tout rentrait dans l’ordre. La nuit porte toujours conseil et les oracles
veillent.
Le « Aj-jar kabl ed-dar » « Se soucier du voisin avant de choisir une maison » ! lancé par la mystique devenue sainte Rabé’a el Adawiyya au 8ème
siècle, restera toujours d’actualité ! Ce dicton célèbre et tant d’autres circulent de femmes en femmes, de maison en maison, de ville en ville, de pays en pays.
Les jours se déroulent en fonction de la lumière du jour, des saisons - maoussem, de la température aussi, on se réveille aux étoiles finissantes,
le chant du coq alentour, le muezzin voisin, les effluves du premier café de la vie renaissante. Il n’y a pas deux appels à la prière exécutés de même manière, parfois l’appel ressemble à une
supplique, une litanie, d’autres fois à un vibrant poème mystique.‘A-mi Mokhtar - oncle Mokhtar s’y était employé jusqu’à la fin de sa vie, sans faille sa voix s’amenuisait au fil du temps en
même temps que sa carcasse, sa petite glotte fripée tremblotait à chaque appel d’air, à force aussi d’enseigner telle une ascèse aux petits enfants sourates et grammaire comme frère qui rentrait
avec sa petite law-ha- planchette rudimentaire pour y inscrire les caractères de la langue arabe, sans pour autant altérer sa belle foi inébranlable et communicative. Heureusement, l’école
coranique n’était pas interdite aux petits musulmans, elle n’était pas assez considérée, voilà pourquoi. Le plus saisissant c’est lorsque l’appel à la prière, celui de l’après-midi en été par
exemple, el’asser -l‘après-midi, depuis jama’a el Bey, la mosquée centrale, se font entendre avec quelques secondes d’intervalles, les appels des mosquées voisines, augmentés du son des cloches
des temples et des églises proches, donnent lieu à une pieuse cacophonie, vibrante, immatérielle, fantomatique, écho exceptionnel de terre, d’air, de voix chargées de ferveur et de souffles
multiples.
Harmonique. Pour un peu on s’envolerait, pulvérisé.
Alors, Il faudrait quasiment s’essuyer les pieds avant de marcher sur la terre.
Il faut se souvenir de cela."(...)
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