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Enquête de Karim Kherbouche

Il est sans conteste clair que la relation enseignant élève n’est plus ce qu’elle était il y a quelques années. Si les spécialistes du domaine se félicitent des résultats de ces nouvelles méthodes pédagogiques fondées sur l’expérience scientifique, dans la rue les avis sont partagés sur la question entre nostalgiques de l’ancienne école et adeptes de l’école actuelle. La polémique n’est hélas pas restée au stade du débat mais suscite parfois des scènes de confrontations notamment entre parents d’élèves et enseignants qui s’accusent mutuellement de « passivité » face à l’éducation des enfants.  

L’interdiction des châtiments corporels amène naturellement les enseignants à introduire une nouvelle approche de la pédagogie inspirée surtout des connaissances relatives à la psychologie de l’enfant (la psychopédagogie). Bien entendu, cette méthodologie multidisciplinaire requiert une formation beaucoup plus accrue du personnel pédagogique et la mise à la disposition des écoles des moyens conséquents. Or, « dans la plupart des cas, nous recourons à l’autoformation et, dans certaines situations, nous nous fions tout simplement à notre instinct», estiment des enseignants que nous avons approchés.
Le sujet est multidimensionnel et mérite de nombreux écrits et réflexions, c’est pourquoi l’enquête qui suit et que nous avons menée à Béjaia ne s’intéressera particulièrement qu’au fait le plus saillant aux yeux de la société qu’est la relation enseignant élève.     


Au secours ! Ma fille aime sa maîtresse plus que moi !
L’évolution de la relation enseignant élève a rendu l’environnement scolaire plus agréable. Comme l’élève passe un temps important à l’école, nombreux sont les parents qui s’inquiètent de voir leur progéniture s’attacher plus à leurs enseignants qu’à eux. « Ma fille aime plus que tout sa maîtresse. A la maison, elle ne parle que d’elle et elle ne jure que par son nom. Je trouve cela anormal, voire pathologique ! », déplore R. Hassina d’Ighil Ouazzoug qui reproche aux maîtres de trop "se familiariser" avec leurs élèves. Elle explique : «Si l’on ne considère pas le temps que passe notre fille à réviser ses leçons et à dormir, on se rend compte qu’elle passe plus de temps à l’école qu’à la maison. Vu que son papa rentre tard de son travail et moi souvent occupée par les tâches ménagères, j’ai l’impression que nous sommes réduits à des parents biologiques et que nous n’avons aucun rôle dans l’éducation de notre enfant ».      
S. Nadia, institutrice, révèle : «certains élèves nous appellent parfois "papa" et "maman". De nos jours, la plupart des parents travaillent et n’ont pas suffisamment de temps à consacrer à l’éducation de leurs enfants. Entre les études, la télévision et le jeu, l’enfant n’a vraiment pas de temps à passer avec ses parents. C’est pourquoi, à mon sens, pour son équilibre, il doit retrouver à l’école un certain environnement affectif nécessaire à son développement et ce, tout en lui évitant bien sûr d’être détourné de sa famille. Nous sommes aussi des parents avant d’être des enseignants. L’enfant a besoin plus que tout autre personne d’affection pour développer ses capacités cognitives (capacités d’acquisition des connaissances) et psychomotrices (qui concernent à la fois les fonctions psychiques et physiques)».
B. Salah, son collègue, abonde dans le même sens : «on doit respecter la nature de l’enfant et son développement psychoaffectif. Pour moi, à leur âge, ces chérubins ont d’abord besoin d’affection, d’éducation avant l’enseignement ». Pour cet éducateur : « la réussite et l’échec scolaire d’un enfant est fonction de la relation enseignant élève ». 
Par ailleurs, nous avons constaté qu’il est des enseignants qui préfèrent ne pas enseigner leurs propres enfants pour leur éviter, disent-ils, de confondre parents et enseignants. D’autres, à l’image de B. Rachid, enseignant à Tazmalt, soutiennent, au contraire, qu’enseigner soi-même son fils permet de le rapprocher davantage de soi. «En outre, cela me permet de lui apprendre à faire la part des choses. En classe, je suis son enseignant, à la maison, c’est son papa. Je crois qu’il n’y pas meilleure manière de lui apprendre à faire cette différence ».  


Il était une fois le maître d’école  
Les partisans de l’ancienne école font l’éloge de "l’autoritarisme" des maîtres d’autrefois et mettent en cause l’attitude des enseignants d’aujourd’hui qu’ils désignent par le terme péjoratif de "laisser-aller". « Jadis, l’école primaire formait des écrivains et de talentueux artistes. Aujourd’hui, nos enfants, voire même à l’université, ils ne savent même pas rédiger une carte postale ! », vocifère O. Hafidh d’Ighil Ali. Il enchaîne : « quand nous étions élèves, je me souviens, nous tremblions à la simple vue de notre maître à l’école ou dans la rue, on le respectait tel un dieu ; de nos jours, les enseignants se comportent en amis des élèves, c’est la principale cause de la baisse du niveau des élèves».  
A ce propos, selon les enseignants, la baisse du niveau scolaire est due à des raisons multiples qu’on ne peut limiter à la seule responsabilité des instituteurs. En fait, la relation entre les enseignants et les élèves est à l’image du mode de fonctionnement actuel de la société et met en évidence l’évolution de la relation parents enfants. «Ma foi, si l’on s’entête à imposer la discipline rigoureuse d’autrefois aux enfants d’aujourd’hui, l’école aurait tout l’air d’un pénitencier ! », ironise S. Nadia. Elle continue : «Si échec il y a aujourd’hui, c’est le systèducatif dans sa globalité qui doit être revu et la pédagogie moderne incite à la décentralisation de l’école afin de la rapprocher davantage de la société et de l’enfant». 
Nos interlocuteurs sont convaincus qu’on peut bien imaginer d’autres méthodes que celles auxquelles nous étions habitués. Il n’y a certes pas de potion magique, disent-ils, mais il y faut un certain état d’esprit, surtout ne pas avoir peur des enfants, miser sur la confiance et ne pas craindre d’être mis soi-même en difficulté.
Un instituteur d’Akbou nous raconte, par exemple, comment il a fait face à une situation qu’on aurait sans doute résolue jadis au bâton. Les élèves piétinaient la terre qui entourait les quelques malheureux arbustes de la cour de récréation et l’intervention des maîtres de surveillance était inefficace et épuisante. « Après réflexion, j’ai eu l’idée d’acheter des tulipes que les élèves ont plantés eux-mêmes. J’ai donné à chacun sa tulipe, c’est important. A partir de ce jour, ils n’ont plus piétiné la terre, c’était en quelque sorte "leur chose"», dit-il. Et de poursuivre : « Quand il ne sert plus à rien d’interdire et qu’on n’a pas les moyens d’empêcher, il ne reste plus qu’à impliquer».


Il faut tout un village pour élever un enfant
Cette nouvelle approche de la pédagogie, estiment les instituteurs, nécessite la mobilisation de l’ensemble des acteurs, notamment des parents d’élèves dont ils souhaitent plus d’appui et d’implication.
Quand un élève réussit, c’est tout le monde qui est content. En revanche, lorsqu’il y a échec, parents et enseignants se jètent la pierre. «Avant, nous avions étudié avec des ardoises de fortune, aujourd’hui avec tous ces gros cartables remplis de livres et de fournitures scolaires, le rendement est franchement décevant ! », s’insurge ce parent d’élève de la cité Sid Ahmed. 
«Nous sommes à l’ère du boom des moyens de communication et du développement technologique. Si des parents demeurent encore récalcitrants, les enfants sont en plein dans cette révolution. Il n’y a qu’à voir la fièvre des jeux vidéo et de l’internet qui s’empare des petits. La question justement est de savoir si notre école est suffisamment au diapason de ce changement. Sans hésiter, la réponse est non et c’est pourquoi certains de nos enfants ne comprennent pas pourquoi ils vont à l’école », constate un directeur d’école primaire.   
Les parents se doivent par conséquent de se plier en quatre pour pouvoir venir à bout des besoins scolaires de leurs enfants. «De nos jours, un certain nombre d’élèves disposent de micro-ordinateurs chez eux, c’est un outil indispensable pour leur formation. Les enfants qui en sont privés développent un sentiment de frustration qui souvent a des retombées négatives sur leur rendement », ajoute ce chef d’établissement.        
« Franchement, j’ai fini par me lasser. Je travaille sans arrêt pour offrir à mes enfants tous les moyens afin qu’ils puissent réussir dans leurs études, mais je n’ai pas le temps pour m’occuper de leur éducation. Je ne peux pas être au four et au moulin ! », regrette T. Bachir qui trouve que le rôle des parents est beaucoup plus complexe aujourd’hui.  


L’instit, ce parfait bouc émissaire
Naturellement, on ne peut comparer l’éducation dispensée par un père ou une mère de famille à celle d’un professeur face à 35 élèves issus de milieux sociaux différents, de niveaux scolaires et d’âges différents aussi (du fait des redoublements). Par conséquent, la mission de l’enseignant est d’autant plus complexe car il s’agit à la fois d’éduquer, faire accepter un mode de vie compatible avec une société démocratique et ce, sans omettre le temps et l’effort consacrés à la délivrance du message académique, à son élaboration et sa mise en forme pédagogique.
«Le fait que nous ayons plus de vacances que les autres, d’aucuns croient que le travail de l’enseignant est si facile. Ce sont justement ceux qui ignorent tout de notre travail qui pensent comme cela.  Il n’y a qu’à voir les dégâts qu’occasionne ce métier à la santé de nos nombreux collègues, notamment les plus anciens, pour comprendre que ce n’est pas de tout repos d’être enseignant », insiste B. Said, instituteur d’Akbou. « De plus, nous sommes les travailleurs les plus mal payés : nous faisons tout pour satisfaire les enfants des autres alors qu’on ne peut pas satisfaire les besoins des nôtres», ajoute-t-il.
Si la tâche de l’instituteur est d’autant plus ardue, c’est parce qu’aussi les écoles primaires, en Algérie, sont le parent pauvre du secteur de l’éducation. Elles ne bénéficient que de maigres enveloppes financières allouées par la commune. Le problème se pose avec plus d’acuité dans les communes rurales déshéritées. Les écoles sont pratiquement dénudées des ingrédients d’un environnement ludique et instructif : pas de bibliothèques, pas d’animation culturelles, pas d’activités ludiques, pas de correspondance et de compétition inter écoles, et j’en passe. Pis, il existe encore des écoles qui ne sont même pas dotées de chauffage pendant l’hiver !
En conclusion, au vu de ces conditions, plutôt que de les vilipender sans raisons tangibles, les enseignants méritent soutien et encouragement. « Certes nul n’est parfait, mais je suis sûr que l’instituteur fait de son mieux car nous ne devons perdre de vue qu’il travaille avec des innocents enfants et son premier juge est donc sa conscience». 
                                                                                  Karim KHERBOUCHE

Tag(s) : #Psychologie
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